Testament international en langue étrangère : une évolution jurisprudentielle en demi-teinte
- Laurine DERVIEUX
- 2 avr.
- 3 min de lecture
Une nouvelle jurisprudence avec des effets limités
L'assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu le 17 janvier 2025 un arrêt significatif concernant les testaments internationaux.
Jusqu'à présent, un testament international rédigé dans une langue inconnue du testateur était considéré comme nul, même avec l'assistance d'un interprète.
La haute juridiction opère maintenant un revirement en admettant qu'un tel testament peut être valable si le testateur est assisté par "un interprète répondant aux conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter a été désignée".
Cette décision s'inscrit dans un contentieux qui a débuté en 2002, lorsqu'une italienne ne parlant pas français a établi un testament authentique avec l'aide d'un interprète pour favoriser ses trois filles. Après son décès en 2015, son petit-fils a contesté la validité de ce testament, estimant qu'il ne reflétait pas la volonté réelle de sa grand-mère.
Le contexte juridique du testament international
Le testament international est issu de la convention de Washington du 26 octobre 1973, entrée en vigueur en France le 1er décembre 1994.
Cette forme testamentaire s'ajoute aux trois formes traditionnelles connues en droit français: olographe, mystique et authentique.
Bien que moins utilisé que les autres formes, le testament international présente un intérêt particulier lorsqu'un testament authentique est irrégulier.
En effet, la jurisprudence admet qu'un testament authentique nul puisse être "converti" en testament international s'il en remplit les conditions formelles - un mécanisme de "conversion par réduction" reconnu tant par le Code civil que par la loi uniforme.
Selon la loi uniforme, le testament international :
Doit être fait par écrit
N'est pas nécessairement écrit par le testateur
Peut être écrit en une langue quelconque
Exige que le testateur déclare en présence de deux témoins et d'une personne habilitée que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu
Une évolution jurisprudentielle sous condition
La nouvelle position de la Cour de cassation représente une évolution par rapport à sa jurisprudence antérieure, notamment l'arrêt du 2 mars 2022.
Cette évolution s'appuie sur plusieurs arguments :
Le rapport explicatif rédigé en 1974 par Jean-Pierre Plantard, alors secrétaire général adjoint d'UNIDROIT, qui n'exige pas que le testament soit rédigé dans une langue connue du testateur.
La logique selon laquelle l'article V de la convention, qui définit les conditions pour qu'un interprète soit nommé, implique la possibilité de recourir à un interprète.
La cohérence avec l'évolution du droit français concernant le testament authentique, qui depuis la loi du 16 février 2015 permet expressément le recours à un interprète.
Cependant, la Cour pose une condition majeure : l'interprète doit répondre aux exigences de la loi du pays où l'acte est instrumenté.
Or, au moment où le testament litigieux a été rédigé (2002), le droit français ne prévoyait aucune disposition sur l'intervention d'un interprète pour les testaments internationaux ou authentiques.
Une portée pratique limitée
Malgré cette apparente évolution, la portée pratique de cet arrêt demeure restreinte :
Il confirme seulement que depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 février 2015, un testament authentique établi avec un interprète peut être converti en testament international s'il en remplit les conditions.
La Cour ne dit pas clairement qu'un testament international rédigé directement avec un interprète serait valable depuis cette date.
En conditionnant la validité du testament à la conformité de l'interprète aux exigences de la loi nationale applicable, la Cour introduit une variable qui compromet l'objectif d'harmonisation internationale visé par la convention de Washington.
Conseils pratiques pour les testateurs
Face à ces incertitudes, le testateur ne maîtrisant pas la langue du pays où est instrumenté son testament aurait tout intérêt à rédiger son testament dans sa langue maternelle (comme le permet l'article 3 de la loi uniforme) et à recourir à un interprète uniquement pour les formalités accomplies devant le notaire.
Cette solution pragmatique permettrait d'éviter les écueils liés aux conditions variables d'intervention des interprètes selon les législations nationales, tout en respectant l'esprit de la Convention de Washington qui vise à faciliter la reconnaissance internationale des testaments.
Source : actu-juridique.fr
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